Dans le cadre de notre projet de documentaire, Geneviève et moi parcourons le Québec d’un bout à l’autre afin d’établir la plus belle rencontre possible avec le Saint-Laurent. Parce qu’on veut vous en parler de la plus efficace façon qui soit. En images et en poésie.
L’été dernier, cela nous a amenés à passer des heures et des heures sur le Saint-Laurent marin. De Mingan à Percé, en passant par Baie-Comeau, sans négliger de faire un saut à Anticosti. Caméras toujours à la main, et masque sur le bout du nez plus souvent qu’autrement.
Nous sommes franchement contents de la récolte d’images ainsi accomplie grâce à tant d’efforts.
Mais dans notre documentaire, nous désirons également présenter le Saint-Laurent d’eau douce.
Celui-là est pas mal plus loin de ma base de plongée nord-côtière que le Saint-Laurent marin, ce qui me rend son exploration plus compliquée. Mais ces jours-ci, je suis à Montréal. Pour voir la douce. Et le Simon. La famille quoi. Qui elle est bel et bien rentrée en métropole jusqu’à l’été prochain. L’occasion était donc parfaite pour aller voir ce qui se passe sous les flots du Saint-Laurent d’eau douce. À quelque part près de son origine, c’est-à-dire en Ontario. En compagnie de la douce, bien évidemment.
Ça tombait fichtrement bien puisque j’ai un pote qui avait lui aussi envie d’aller tremper ses palmes par là-bas. Et il a un bateau. Et un capitaine en plus. Scénario parfait, quoi!
De bon matin, hier, nous avons donc pris la route. Direction: Brockville, pays voisin.
Arrivés sur place, un premier constat s’est imposé. Il ventait à écorner les boeufs. Et pour un plan d’eau de cette envergure les vagues étaient quand même imposantes. Rien à voir avec le golfe, bien sûr. Mais dans le Saint-Laurent ontarien, les vagues cassent et rendent la navigation moins agréable lorsqu’elles sont imposantes comme elles l’étaient hier.
Mais nous ne devions pas nous décourager pour si peu.
Après une bonne heure de bateau, nous sommes arrivés sur le site de l’épave du Daryaw. Un bateau de 219 pieds de long qui a coulé en 1941 et qui gît depuis par 100 pieds de fonds.
Je fus le premier à me mettre à l’eau. Un second constat s’est alors imposé. Il y avait du courant comme c’est pas possible. Après moult efforts, nous sommes parvenus à mettre la main sur la corde d’amarrage et à reprendre notre souffle, mon pote et moi. Prêts à entamer notre descente vers ces nouvelles entrailles du Saint-Laurent.
En descendant vers de nouvelles découvertes, je tenais toujours la corde d’amarrage d’une main, et la caméra de l’autre. Plus on descendait, et plus il faisait noir. Plus il faisait noir et plus je me disais que le courant finirait bien par se calmer. Hé bien non, arrivés à 100 pieds, on a bien vu que cette plongée ne serait pas de tout repos. Elle devrait se faire dans le noir d’encre et dans le courant extrême!
Évidemment, dans de telles conditions, l’épave était difficilement visible. Mais pas grave, je n’étais pas là pour ça. Je désirais voir de mes yeux ce que ça signifie un écosystème complètement bouleversé par les espèces envahissantes.
Et je ne fus pas déçu.
Sur le site, le poisson dominant est le gobie à tâche noire. Un petit poisson qui est arrivé dans le Saint-Laurent par les eaux de ballast de navires étrangers au début des années 1990. Depuis, ce poisson très résistant à la reproduction généreuse s’est imposé des Grands-Lacs jusqu’à la rivière Ouelle.
Ce poisson cause des torts importants au Saint-Laurent et aux espèces indigènes qui l’habitent. Le gobie à tâche noire, qui provient de la mer noire et caspienne, livre une intense compétition aux autres espèces de poisson en consommant leurs proies et leurs alevins. Il s’approprie aussi les meilleurs sites de fraie et propage la septicémie hémorragique virale parmi les espèces de poissons indigènes.
Certes, je m’attendais à voir plusieurs gobies à tâche noire lors de cette plongée dans le Saint-Laurent ontarien. Mais jamais autant que j’en ai vus. Le fond du Saint-Laurent y est littéralement recouvert de dignes représentants de cette espèce. Ils sont cachés dans tous les trous, dans toutes les interstices. Ils se déplacent frénétiquement lorsqu’on les approche. Ils sont partout. Omniprésents.
Comme si ce n’était suffisant, l’autre espèce animale que j’ai pu observer en très grand nombre lors de cette plongée en Ontario est la moule zébrée. L’épave du Daryaw en est complètement recouverte!
La moule zébrée provient d’Europe. Elle a accompagné l’homme dans ses déplacements et s’est introduite en Amérique à la fin des années 1980. Son taux de reproduction hallucinant (une femelle peut pondre jusqu’à un million d’oeufs annuellement) lui a permis de s’implanter rapidement dans le canal du Saint-Laurent, des Grands-Lacs jusqu’à Québec.
La moule zébrée filtre environ un litre d’eau par jour. Elle consomme ainsi le phytoplancton et le zooplanton dont les espèces indigènes ont besoin pour se nourrir. Elle se fixe sur les espèces de moules d’eau douce du Saint-Laurent, les empêchant de respirer et de se dissimuler. Ce qui entraîne leur mort. La moule zébrée est aussi porteuse du botulisme aviaire, maladie qui tue des quantités importantes d’oiseaux. Finalement, elle obstrue les prises d’eau potable. Bref, un fléau.
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Si cette plongée ne s’est pas caractérisée par la beauté du paysage, visibilité médiocre oblige, elle fut tout de même impressionnante. Une plongée impressionnante qui a démontré de fort belle façon l’impact de l’activité humaine sur la nature, sur le Saint-Laurent.
Pour avoir une meilleure idée de l’importance de la moule zébrée et du gobie à tâche noire dans le Saint-Laurent d’eau douce, voyez cette petite vidéo:
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Est-ce qu'il existe des moyens de se débarrasser ces espèces envahissantes ou à tout le moins d'en contrôler la prolifération?
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