Lorsque l’on discute environ une heure avec un journaliste à propos d’un sujet x ou y, il faut forcément s’attendre à ce que ce dernier résume par la suite nos propos, ceux qu’il utilisera pour rédiger son article. C’est ce qui s’est produit lors de la dernière entrevue que j’ai accordée au Devoir afin de parler de mon travail sous-marin. Et comme il y en avait encore tant à dire, je me permets de donner quelques détails supplémentaires via mon cher blogue.
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Faire la une d’un grand quotidien afin de parler de son travail, ce n’est pas une chance qui se produit si souvent. J’étais de ce fait très content de constater que le sujet du Saint-Laurent est suffisamment d’intérêt public pour qu’on parle de mon travail en couverture.
À mes yeux, il est très important de discuter de l’immense beauté de ce fleuve immense qui coule au coeur du pays du Québec et des menaces qui planent au-dessus de sa tête. À l’évidence, Le Devoir partage mon opinion. Leurs articles environnementaux sont d’une importance considérable. En particulier ceux d’Alexandre Shields, lui qui ne manque jamais de soulever une contradiction ou une autre dans le dossier de l’oléoduc de TransCanada.
Mon travail sous les flots du Saint-Laurent est très simple: présenter le mieux que je ne le puisse les splendeurs du fleuve-mer pour que les Québécois s’y attachent plus fermement et qu’ils le défendent par conséquent beaucoup mieux. Si ce travail est simple eu égard à son objectif fondamental, il est tout de même très compliqué en ce qui concerne son caractère logistique. Compliqué du fait que la plongée dans ces profondeurs glaciales n’est pas facile. La journaliste du Devoir, Isabelle Paré, a bien souligné le poids important de l’équipement qu’on doit revêtir afin de se prémunir du froid de ces eaux. On aurait aussi pu parler de l’importance que cet équipement soit conçu de façon à ne pas carrément geler sous les flots. Un détendeur qui part en débit continu, à 30 mètres de profondeur, ça surprend quand même le plongeur concerné. Bien sûr, nous sommes formés pour faire face à de telles situations, mais il n’en demeure pas moins qu’on n’explore par le Saint-Laurent avec le même équipement que celui qu’on utiliserait dans le golfe du Mexique.
Crédit: Marie-Pier Meilleur
La combinaison étanche que nous revêtons complique également la tâche de ceux qui descendent dans les entrailles du Saint-Laurent. L’isolation que procure cette combinaison s’effectue via une couche d’air qui entoure le corps du plongeur. Sous l’effet de la pression, les gaz sont compressibles. Ce qui signifie qu’en descendant, la combinaison étanche va serrer le corps du plongeur (effet ventouse). Il faut donc gérer un inflateur supplémentaire afin de palier ce problème, en ajoutant de l’air dans la combinaison. Et il faut gérer une purge de plus également car lors de la remontée du plongeur vers la surface, l’air emprisonné dans la combinaison prendra de l’expansion et devra être expulsé par le plongeur. Ne pas le faire entraînerait le plongeur dans une remontée incontrôlée, avec les dangers que cela comporte (accident de décompression, surpression pulmonaire).
La journaliste m’a aussi demandé ce que je trouvais le plus impressionnant dans le Saint-Laurent. Je suis un immense admirateur des squales. Les requins m’attirent depuis mon plus jeune âge. Et je suis toujours à l’affût d’informations concernant ces poissons fréquentant le Saint-Laurent. À ce propos, le travail de Jeffrey Gallant est exemplaire. Au fil des ans, il a accumulé beaucoup d’information sur le requin du Groenland qui fréquente les eaux de Baie-Comeau (et le Saint-Laurent en général). Il a plongé avec cette espèce à maintes reprises.
Malheureusement, ces années-ci, le requin du Groenland se fait plus discret alors que de 2003 à 2009 environ, il était possible de plonger avec plusieurs représentants de l’espèce dans les environs de Baie-Comeau.
J’ai demandé à Jeffrey Gallant ce qui pouvait expliquer que cette espèce des grandes profondeurs soit remontée aussi peu profondément dans les années 2003-2009 que la baie St-Pancrace, tout près de Baie-Comeau. À l’heure actuelle, cela demeure toujours un mystère. Mais Jeffrey croit qu’il s’agit d’un cycle. Il m’a rappelé qu’on a beaucoup senti la présence de ce requin dans les eaux du Saint-Laurent dans les années 1920, ensuite dans les années 1970 puis tout juste avant les années 2010.
Le requin du Groenland n’est pas la seule espèce de requin à fréquenter les eaux du Saint-Laurent. On retrouve également en abondance l’aiguillat noir, un petit requin noir des abysses. Il y a aussi l’aiguillat commun, le requin maraîche, le requin bleu, le grand requin blanc puis le requin pèlerin. Ces espèces sont toutes très difficiles à observer. À l’exception peut-être du requin pèlerin. En se rendant sur la Basse-Côte-Nord ou en Gaspésie, il est possible de sortir en mer et, avec de la chance, de les observer en train de se repaître de plancton, la gueule grande ouverte, l’aileron déchirant la surface.
En plongée, c’est une autre histoire.
Je ne connais que quelques personnes qui ont eu, au cours de leur carrière de plongeur, la chance de rencontrer un squale sous les flots du Saint-Laurent. Un type m’a raconté avoir nagé avec un requin maraîche sur les tombants de Baie-Comeau, un autre m’a dit avoir croisé un aiguillat commun aux abords de l’île Bonaventure. Et c’est à peu près tout.
Croiser un requin dans les eaux du Saint-Laurent, en plongée, c’est donc la chance d’une vie. J’espère que cette chance me sourira un jour, avant que je ne sois trop vieux pour plonger dans l’immense Saint-Laurent.
Le Saint-Laurent est également un vaste cimetière marin. On ne compte plus les naufrages qui se sont produits dans ses eaux. Et pourtant, l’exploration d’épaves demeure ici difficile. Comme j’expliquais à la journaliste, la plupart des bateaux se sont brisés contre les berges. Ce qui signifie que les glaces ont terminé le travail en les écrasant une fois l’hiver revenu plusieurs fois depuis les temps d’antan. Les restes des navires ont aussi pu facilement être récoltés par les riverains, puisqu’ils étaient facilement accessibles. Aujourd’hui, il ne reste donc pas grand chose à observer. Hormis les épaves telles que l’Empress of Ireland ou le Nipigon dans la région de Rimouski. Mais ces aventures s’adressent à des plongeurs chevronnés. Si le naufrage de l’Empress a entraîné un millier de personnes dans la mort, l’exploration de cette épave a depuis pris la vie d’une dizaine de plongeurs.
Beaucoup d’épaves restent à être découvertes dans le Saint-Laurent. Mais cela demeure un travail très complexe. Samuel Côté qui pilote l’émission chasseurs d’épaves à Canal D pourrait vous en dire un bout sur le sujet. En attendant, vous pouvez toujours visiter les musées consacrés aux naufrages dans le Saint-Laurent, dont le très intéressant Centre des naufrages de Baie-Trinité, là où vous pourrez en apprendre davantage sur le sort que le Saint-Laurent réserva aux flottes anglaises de Phipps et Walker qui tentèrent de prendre Québec aux XVII et XVIIIe siècles.
Pour lire l’article du Devoir, c’est par ici.